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Marc Dubourg : le grand changement de l'après guerre

Marc Dubourg : le grand changement de l'après guerre

Jusqu’à la guerre de 39 (relire « Mes jeunes années ») nous vivions sur « trois mains » de la vigne, des céréales et de la forêt. Il y avait aussi des cultures secondaires, asperges à Pujols, petits pois à Cérons et mes parents en ont mis eux aussi en conserves. 
Au lendemain de la guerre, la reconstruction du pays apporte de grands changements dans le métier d’agriculteur avec la fin progressive de la polyculture et de profondes modifications du vignoble. Pour les vins blancs les cépages n’ont pas changé et l’on a conservé sémillion, sauvignon et muscadelle. Pour les rouges il y avait le cabernet, le merlot, le petit verdot mais aussi l’enrageat et des cépages hybrides. En 1956, la vigne a été gelée parce que nous n’étions pas dégourdis. Le mois de janvier avait été bon et la sève avait commencé de monter. Les pieds se sont gelés parce qu’il y avait déjà de la sève. C’est la neige qui est restée pendant dix jours qui a causé le plus de dégâts.  Ceux qui ont eu la présence d’esprit de l’enlever ont pu sauver la vigne. Nous, nous avons été obligés d’arracher. 
Après les gelées de 1956, on a replanté en respectant les cahiers des charges des appellations crées en 1936 et l’enrageat comme les hybrides ont disparu. A la sortie du phylloxera on avait adapté les cépages aux porte-greffes résistants : on greffait sur place. Après-guerre, Pueyo, pépiniériste à Saint-Germain de Graves en a fait son affaire. Il y avait des équipes de greffeurs qui se déplaçaient partout dans le vignoble.


 

Vendanges aux Plantes en 1954 (extrait albums Marc Dubourg). On notera le système des joualles et le cheval ainsi que le douille

Vendanges aux Plantes en 1954 (extrait albums Marc Dubourg). On notera le système des joualles et le cheval ainsi que le douille

Avec les journées de Donzac  est arrivé l’heure de la mécanisation. Les bœufs ont les utilisait moins. On a commencé à en vendre un. Quand on fauchait les prairies, on empruntait un bœuf ou une vache à un voisin. Puis un jour on est allé avec mon père acheter un moteur amovible pour mettre sur la faucheuse. Le moteur faisait marcher la faucheuse et le cheval n’ait plus qu’à tirer. Ensuite en 1962, on a sauté le pas en achetant un tracteur. Cela nous a permis de ne conserver qu’un cheval d’entretien.  Le tracteur faisait le plus gros. Puis notre cheval est mort quelques années après. On l’avait acheté à un marchand de chevaux, Mr Miramont  à Verdelais. Il était à la fois maréchal ferrant et marchand de chevaux. C’était le dernier cheval que l’on a acheté. C’était la fin d’un passé dont on essaye de se souvenir.
C’est le moment-où l’on a acheté notre matériel en commun. Tout va de pair. Comme on achetait toujours un peu plus de terres aux petits propriétaires qui abandonnaient, il fallait s’adapter à la situation. Avec un de mes amis (qui est mort jeune) nous allions suivre des cours d’arboriculture à Bordeaux, après l’hôpital, à la barrière du Médoc. On y allait en bicyclette avec des pneus pleins. On nous apprenait les nouvelles techniques de culture. Quand il s’est marié il a voulu changer sa façon de travailler. Il est venu me trouver : « Si tu veux, on va acheter du matériel en commun ». On a alors acheté une disqueuse, un pulvérisateur, une machine à ramasser le foin… Comme on ne faisait pas tout le même jour, pendant une quinzaine d’années on a ainsi fonctionné en commun. Puis lorsque l’on a eu plus de facilités on est revenu à l’acquisition individuelle de nos outils. Certains comme le maire de Virelade ont fonctionné en CUMA. Nous on ne l’a jamais fait. En dernier pour la ramasseuse de foin, nous étions quand même sept, je crois. Comme on passait tous le même jour, on faisait le circuit de toutes les parcelles, les uns chez les autres.

 

Les vendanges en 1968 avec le tracteur acheté en 1962

Les vendanges en 1968 avec le tracteur acheté en 1962

La commercialisation du vin était jusqu’alors tributaire du commerce et l’on vendait le vin en barriques par l’intermédiaire des courtiers et des négociants. Il n’y avait que les châteaux, les grands domaines qui vendaient leur vin en bouteilles. Après la guerre, lors des regroupements inter cantonaux, l’intervention des conseillers agricoles a permis à tout le monde de se rendre compte que la vente en bouteilles aux particuliers d’ une partie de la récolte pouvait permettre de s’en sortir. On a fait comme les châteaux. On a donc commencé en 47-48 à mettre notre meilleur vin en bouteilles. Au début nous faisions nous même nos mises en bouteilles. On travaillait le soir… c’était un peu la galère. Et puis le propriétaire du château D’Arricaud est venu nous faire la mise en bouteilles à la propriété. Comme il était ingénieur œnologue, il faisait les analyses en même temps. C’est alors un enchainement. 
Avec la mise en bouteilles, on s’est donc mis à faire de la vente directe. Nos premiers clients ont servi de relais et, petit à petit, nous avons constitué notre réseau de distribution. On mettait le meilleur vin en bouteilles. Le reste était vendu en vrac au négoce. Le moins bon était envoyé au commerce car le syndicat des Graves est le seul qui n’a pas de coopérative. C’est la vente directe qui valorisait nos vins. Cela nous permettait de rembourser les crédits.

 

Pierre Trénit est le propriétaire du château d'Arricaud à Landiras

Pierre Trénit est le propriétaire du château d'Arricaud à Landiras

Cela a duré ainsi jusqu’en 1984. Quand on a décidé d’abandonner – les filles qui avaient réussi des examens ont disparu de la circulation – un de mes amis avait un gendre à Monprimblanc qui avait un problème de vin. Il produisait du rouge et du sauternes. « Vous n’avez que cela » lui disait-on sur les marchés. Il cherchait à produire des graves rouges et secs. Comme son beau-père était un ami intime et que l’on avait l’âge de prendre notre retraite, on s’est laissé tenter. Ainsi on est rentré dans le mouvement de vente des moyens au gros après la période de la vente des petits au gros. A Landiras, d’une petite centaine de viticulteurs entre les deux guerres, on est arrivé aujourd’hui à une quinzaine alors que la superficie des vignes n’a pas changée, elle est à peu près toujours la même. Voilà le grand changement.

A la retraite... en 2004

A la retraite... en 2004

Les dernières vendanges du vigneron retraité

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