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Relire les terroirs de l’Entre-deux-mers girondin (chap. 5) : vins blancs ou vins rouges ?

Relire l'histoire des terroirs viticoles de la contrée "Entre-deux-Mers" ne se limite pas à celle de l'étendue des vignobles. A la différence du Sauternais qui est devenue très tôt un terroir de raisins blancs ou des Graves, du Médoc ou encore de Saint-Emilion essentiellement  terroirs de raisins rouges, la péninsule girondine connu des épisodes contrastés et une géographie complexe, comme il est possible de le voir dans les chapitres précédents. Cela s'est traduit par une sorte d'hésitation entre les blancs et les rouges qui s'achève aujourd'hui sur la prépondérance des bordeaux rouges (ou rosés) au détriment des vins blancs alors que l'appellation "entre-deux-mers- est réservée à ces derniers.

Carte1

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Pour relire cette tension entre vins blancs et vins rouges, la documentation disponible  au XIXème est plus littéraire que statistique  : on dispose d’ouvrages généraux sur la viticulture française (Cavoleau, Jullien...) ou plus précis sur le Bordelais (Franck, d’Armailhacq, Féret...). Les premiers évoquent surtout les vins rouges du Médoc et des Graves, ainsi que les blancs liquoreux du Langonnais. L’Entre-deux-Mers est mentionné par Jullien (1816, 1822) comme une des régions du Bordelais productrice de vins blancs de cinquième classe « secs et peu spiritueux » mais dont certains sont  « d’un goût agréable...peuvent être considérés comme  des ordinaires de seconde et troisième qualité ».
Les ouvrages locaux sont heureusement plus diserts sur la qualité mais aussi la quantité approximative des vins récoltés dans les diverses parties du département de la Gironde (ex : La statistique viticole de la Gironde de 1876), surtout lorsqu’ils sont complétés par les premières enquêtes agricoles, cantonales voire communales (par exemple "La grande enquête agricole de la France en 1892") ; ces dernières, même si on doit les considérer avec précaution, et plus comme des ordres de grandeur que des vérités statistiques absolues, permettent des analyses nettement plus fouillées qui  ne cesseront d’ailleurs de s’affiner au cours du XXème siècle, notamment grâce aux déclarations de récolte obligatoires en France à partir de 1907 mais que le département de la Gironde avait commencé à pratiquer dès 1897.
La vision fondamentale qui émane de l’ensemble de ces documents vient de ce que, tout en voyant son potentiel agricole s’affirmer, l’Entre-deux-Mers géographique -c’est à dire l’ensemble du plateau et de ses bordures a vu évoluer la nature même de ses productions. A la fin du XIXème siècle (carte1), la production des vins blancs l’emporte seulement à l’intérieur du plateau, alors que les bordures tant à l’ouest qu’au nord, voire au sud dans les pays macarien et réolais restent dominée  par des vins rouges (tableau1 et graphiques 1 et 2). Il s’agit là de vins de côtes mais aussi de vins de palus, ces derniers étant surtout récoltés dans la pointe de l’Entre-deux-Mers représentée par la presqu’île d’Ambès.
Seule la partie centrale des Côtes de Bordeaux, en pays de Cadillac, livre des vins blancs de grande renommée. Le proche Entre-deux-Mers des plateaux dans les cantons de Carbon-Blanc et de Créon, grossièrement de part et d’autre des routes Bordeaux-Libourne et Bordeaux-Branne, est déjà fortement producteur de vins blancs même si les rouges restent présents.
Le centre de l’Entre-deux-Mers (approximativement les cantons de Targon et de Sauveterre) est par contre largement marqué par la production quasi exclusive de vins blancs, le rouge n’apparaissant que vers Pellegrue et en pays foyen. Le sud-est de la région (canton de Monségur et Réolais) montre enfin un aspect différent : la production viticole y est faible, plus blanche que rouge mais assez marginale dans l’économie rurale : on est déjà en pays bazadais comme au sud de la Garonne, où la viticulture n’est qu’un élément d’une polyculture de type agenais, à côté des herbages et des céréales.

 

Relire les terroirs de l’Entre-deux-mers girondin (chap. 5) : vins blancs ou vins rouges ?
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A partir de la Première guerre mondiale la production de vins blancs va augmenter en volume brut et même en pourcentage des récoltes totales. Et en 1924 (carte 2, tableau 2 et graphiques 3 et 4) les volumes sont inversés : représentant 28% de la production de la zone en 1900, les vins blancs atteignent 59% au cœur des années 20.

C’est la conséquence de la demande des consommateurs, plus orientée vers les blancs et notamment vers des moelleux (sinon des liquoreux), ainsi que de l’augmentation des rendements suite à la reconstruction des vignobles après la crise phylloxérique de la fin du XIXème siècle.

Carte 2

Carte 2

Relire les terroirs de l’Entre-deux-mers girondin (chap. 5) : vins blancs ou vins rouges ?
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Cette situation explique que lors de la création des appellations d’origine contrôlée en 1936, l’Entre-deux-Mers ne songe qu’à la création d’une appellation en vin blanc et non en vin rouge, pour lequel le problème ne se posait pas encore. En revanche, et tout à fait normalement, les rouges du plateau de l’Entre-deux-Mers pouvaient revendiquer une appellation bordeaux rouge, comme toutes les autres régions viticoles du département.


Après 1953 et la « réforme » de l’appellation Entre-deux-Mers désormais réservée aux seuls vins blancs secs,  le visage viticole de la région se modifie profondément et outre l’essor déjà signalé des surfaces, notamment dans l’est, c’est l’augmentation considérable de la part des vins rouges qui frappe le plus l’observateur (cartes ci-dessous).

Relire les terroirs de l’Entre-deux-mers girondin (chap. 5) : vins blancs ou vins rouges ?
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Relire les terroirs de l’Entre-deux-mers girondin (chap. 5) : vins blancs ou vins rouges ?
Relire les terroirs de l’Entre-deux-mers girondin (chap. 5) : vins blancs ou vins rouges ?

Cette évolution pose tout naturellement la question des appellations contrôlées : devenue principalement productrice de vins rouges, la zone d’appellation Entre-deux-Mers ne bénéficiant que d’une unique appellation de vins blancs secs.

Ce sera l'objet de notre prochain et dernier chapitre.

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