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DECLARATION DE POSSESSION ET DE DETENTION D'ARMES A BARSAC (JUILLET 1792)

Bref rappel historique

Le 22 juin 1791, le roi Louis XVI et sa famille qui tentaient de rallier le bastion royaliste de Montmédy sont reconnus et arrêtés à Varennes, ramenés à Paris et assignés à résidence.

Le 27 août, les souverains Léopold II d'Autriche et Frédéric-Guillaume II de Prusse acceptent de signer, sous la pression d'émigrés dont le marquis de Bouillé, de l'ex ministre Calonne et du Comte d'Artois, frère du roi, une déclaration dite « de Pillnitz ». Dans cette déclaration, ils en appellent au soutien des autres souverains d'Europe pour que le roi de France soit rétabli sur son trône et dans ses droits. La déclaration précise que (les Majestés) « ... donneront à leurs troupes les ordres convenables pour qu'elles soient à portée de se mettre en activité. »

Le 12 novembre, l'empereur d'Autriche lance un appel aux autres souverains pour qu'ils s'unissent contre la révolution française. Parallèlement, il masse des troupes aux frontières (Brisgau, Flandres, Wallonie).

Le 1er mars 1792, François II, frère de la reine Marie-Antoinette succède à son père décédé. Le 18 mars, il signe un ultimatum à la France qu'il accuse de soutenir les démocrates Belges (Résolution de Kaunitz).

En réponse, les députés français demandent que cessent la concentration de troupes aux frontière et le soutien à « l'armée des émigrés ».

Devant le refus d'obtempérer de Vienne, le ministre Dumouriez présente au roi et à ses ministres un rapport qui s'achève par une proposition de déclaration de guerre contre l'Autriche.

Le 20 avril, l'assemblée nationale déclare la guerre au roi « de Bohème et de Hongrie ».

Les débuts de la guerre sont marqués par des revers d'une armée française commandée par des officiers peu fiables, dont certains, comme La Fayette sont même soupçonnés de préparer un coup d'état. Les troupes autrichiennes entrent en France.

Les 5 et 6 juillet, l'Assemblée Nationale Législative lance un appel aux volontaires pour sauver la révolution(1). L'article 4 prévoit :

Tous les citoyens seront tenus de déclarer devant leurs municipalités respectives le nombre et la nature des armes et munitions dont ils seront pourvus : le refus de déclaration, ou la fausse déclaration, dénoncée et prouvée, seront punis par la voie de la police correctionnelle, savoir, dans le premier cas, d’un emprisonnement dont le terme ne pourra être moindre de deux mois, ni excéder une année ; et dans le second cas, d’un emprisonnement dont le terme ne pourra être moindre d’une année ni excéder deux ans.

Le 12 Juillet, la patrie est déclarée en danger.

 

A Barsac

La commune de Barsac n'est pas en reste et des archives municipales sauvées de la destruction par le Président Michel Laville fournissent quelques renseignements sur la situation du moment.

Ces documents constituent un ensemble de déclarations de possession ou de détention d'armes faites par des citoyens Résidant à Barsac ou y possédant une maison, conformément à l'article 4 du décret du 6 juillet 1792.

Ils ont été rédigés sur des feuilles volantes de tailles variées, la plupart du temps par le déclarant, mais certaines, sur papier bleu pâle sont de la main d'un représentant de la municipalité ; dans ce cas, ils peuvent concerner plusieurs déclarants.

On peut penser que ces originaux ont été recopiés sur des registres remis aux autorités compétentes et conservés par la suite en mairie sans être archivés. Ils sont pour la plupart datés du 20 juillet au 10 août 1792, mais quelques-uns, plus tardifs ont été rédigés courant septembre.

Les personnes dont les déclarations sont parvenues jusqu'à nous sont au nombre de 174. En dehors de quelques-uns ; un vigneron, un sabotier, un médecin, un charron, un forgeron, un serrurier, un "procureur de la commune" et deux ecclésiastiques(2), les documents nous renseignent assez peu sur la position sociale ou l'activité des déclarants. Font exception ceux qui font profession d'armurier ou du commerce de poudre et de plomb, soit cinq déclarants, ainsi que ceux qui agissent en tant « qu'homme d'affaire »(3) d'un propriétaire dont la résidence principale n'est pas Barsac (deux déclarants). A ceux-là, il convient d'ajouter MM. Ballette et Espagne, officiers municipaux assidument enregistré dès le premier jour. 

 

 

 

Déclarations de MM. Dubosq (armurier), Nercam, Barbere et Masse (négociants)

Ils peuvent aussi avoir été rédigés au nom d'une tierce personne, souvent une femme (six déclarations).

 

Dans la plupart des cas, ces déclarations sont laconiques, surtout celles rédigées par la municipalité, mais certaines sont plus pittoresques ou du moins plus personnalisées. Du fait de l'écriture hésitante de certains rédacteurs et de l'orthographe approximative et souvent phonétique, il faut parfois un peu de temps pour déchiffrer les documents.

 

Déclarations de MM. Destanque Pierre et Bernard. Dans le cas de ce dernier, l'écriture demande à être déchiffrée.

Les déclarations concernent pour la plus grande part des fusils, 204 au total, répartis en 3 catégories : 147 fusils de chasse, 6 fusils de munition(4) et 51 fusils sans autre précision, mais qu'il semble correct de ranger dans la catégorie fusils de chasse. Il est étonnant de trouver 6 fusils de munition à priori destinés à l'armée entre les mains de civils. En effet, un décret adopté suite au Rapport Goudart du 23 septembre 1791 sur la liberté du commerce prohibe la circulation des armes et munitions de guerre, de l'or et de l'argent en lingots (5).

Dans la catégorie des armes à feu viennent ensuite les pistolets, au nombre de 101, ils sont eux aussi classés en trois catégories : 54 pistolets de poche, 32 pistolets d'arçon ou de demi arçon et 15 autres pistolets sans plus de précision. Si la possession de pistolets de poche peut se justifier (un des déclarants, qui signe par procuration pour son frère aîné ci-devant curé de Barsac, précise « pour voyager », ce qui est révélateur d'un certain sentiment d'insécurité), le pistolet d'arçon, arme de cavalerie par excellence, peut signifier qu'il ait éxisté un marché parallèle où se fournir en armes « démilitarisées ».

"Je soussigne et declare comme chargé des pouvoirs pour mon frère pretre cy devant curré de Barsac avoir dans sa maison un fusy de chasse & deux pistollet de poche qui luy servent a voyager. a Bordx. le 25 Juillet 1792.

Par procuration de (illisible) ainé (illisible) jeune"

La première déclaration pourrait être le fait d'une femme (deux déclarations).

"Je soussignee declare conformement a la loi avoir en ma possession une petite paire pistolets de poche dont l'un est bon & l'autre en mauvais etat a Barsac le 31 juillet 1792.

Veve (veuve?) Benoit"

Si on ajoute à ces armes à feu une carabine et une espingole, fusil à canon évasé, peu précis mais pouvant être chargé avec un peu n 'importe quoi : plombs, tessons de verre ou de vaisselle, clous, gros sel... on se trouve à la tête d'un arsenal de 307 « bouches à feu » dont une bonne partie, si on en croit les déclarants, n'est pas en mesure de fonctionner correctement.

Espingole (vers 1760)

 

Plus étonnants sont les 3 canons dont deux d'artillerie entreposés dans l'église et dont il est difficile de comprendre comment ils ont pu aterrir chez un particulier.

"Messieurs de la municipalité de Barsac je vous declare quil ia trois fusills de chasse en bon etat dans la maison de Mn Mercier a Barsac plus deux cannons dartillerie dans leglise ce (c'est?) tout se quil ia isi (ici?) (illisible) armes   a Barsac  le 26 juillet 1792 

Pierre Anglade valet de Mn Mercier"

 

Un autre fait peut étonner: moins d'une personne sur dix ayant déclaré avoir en leur possession une arme déclare aussi posséder de la poudre et des plombs ou des balles , soit 13 déclarants desquels il faut déduire les 4 professionnels cités plus haut.

A la lecture de ces déclarations, force est de constater que beaucoup de ces armes semblent en piètre état, ce que les déclarants expriment avec plus ou moins d'humour.

"A Barsac le 22juillet 1792

messieurs je declaire avoir un fusil de casse a mon servise me il ne peu pa servi qui ne soit renge (arrangé?) je ne pa la force pour le faire renge

Jean Guilhem à la pinesse"

On peut y voir la crainte pour certains de se voir dépossédés de leur bien en cas de réquisition et de s'en protéger en dépréciant la qualité de leur « arsenal », ou un laisser aller que dément en partie la déclaration de M. Dubosq, armurier précisant avoir en dépôt 13 fusils de chasse et 6 pistolets de poche (v. plus haut).

Déclaration de M. Cazaux, client de M. Dubos(q), armurier.

Concernant les armes blanches, on constate que le nombre de possesseurs est moindre que dans le cas des armes à feu. On compte 24 sabres, 18 épées, 5 canes épées, 11 couteaux de chasse, 7 baïonnettes et 2 hallebardes.

Les déclarants possédant une ou plusieurs armes blanches à l'exception de toute arme à feu sont rares, le sabre, l'épée ou le couteau de chasse viennent souvent en complément d'une panoplie comptant un ou plusieurs fusils ou des pistolets.

 

Certains s'étonneront du nombre conséquent de sabres en circulation ou en dépôt chez des particuliers, surtout si on considère qu'il s'agit précisément d'armes équipant les troupes . Depuis 1750 et 1752 pour la cavalerie lourde et légère, 1767 pour l'infanterie, 1771 pour l'artillerie et 1782 pour les équipages de marine. On peut modérer ce constat en précisant que ce n'est qu'en 1730 que le roi Louis XV autorise la création d'une manufacture royale d'armes blanches à Kligenthal, en Alsace. Jusqu'alors, les lames étaient achetées à l'étranger (Westphalie, Pays-Bas) et assemblées en France. Il pourrait donc s'agir d'antiquités, conservées par héritage ou d'armes distribuées dès 1790 aux Gardes Nationaux (6).

 

A ce point, il n'est peut-être pas inintéressant de faire un retour en arrière sur l'évolution des lois concernant la possession des armes.

Dès 1666, un édit fixe la différence entre armes civiles et militaires. Le marché des particuliers est orienté majoritairement vers les armes blanches et des normes de taille sont imposées aux civils aussi bien pour les poignards que pour les pistolets. Il faut que l'arme portée soit visible et non dissimulable. La production militaire d'armes à feu dans les manufactures royales est progressivement normalisée, testée et poinçonnée. A la fin du XVIIIème siècle, le fusil réglementaire est le modèle de 1777, dit Gribeauval.

L'ordonnance de police de 1784 durcit la réglementation du port de l'épée et le restreint à la seule noblesse, ce que conteste une partie de la population, propriétaires bourgeois pour qui elle est synonyme de réussite et chez qui le port de l'épée tend à se généraliser. De même, les canes-épées sont prohibées pour infraction au privilège, mais aussi parce que c'est l'arme du crime et de la dissimulation par excellence.

On voit donc en parallèle en marche le désarmement de la population civile, l'armement des soldats et la professionnalisation du métier militaire.

La révolution et surtout le concept de « Patrie en danger » vont modifier la donne en faisant de chaque citoyen un soldat potentiel.

Pour ce qui est de la prolifération des armes dans la population civile, elle est au cœur du débat au sujet de la suppression du droit exclusif de chasse réservé à la noblesse (7). Le port d'arme doit-il être référé à la propriété ou s'agit-il là de la création d'un nouveau privilège ? Doit-on passer de la défense des biens à celle des personnes ? Et surtout, est-il bien prudent d'autoriser la possession d'armes en des temps de désordre qui pourrait dégénérer en « désordre armé », menaçant les propriétés dans les provinces ? Faute de consensus, rien n'est alors décidé.

Si on s'appuie sur le recensement de 1793 comptant 2583 barsacais, on peut estimer la population de Barsac en 1792 aux alentours de 2500 âmes. Le chiffre de 174 est sans doute en deça du nombre réel de déclarants, soit qu'il se soit perdu une partie des déclarations manuscrites ou qu'elles aient été détruites. Il est aussi possible que la possession d'armes n'ait concerné qu'une partie « aisée » de la population, ce que confirme cetaines déclarations de citoyens possédant trois ou quatre fusils, plusieurs pistolets ainsi que des sabres ou des épées, voire les deux. Dans tous les cas, ces déclarations pointent une situation où, quoiqu'interdites ou que leur usage soit lié à un privilège ou à une catégorie de population, leur possession, à défaut de leur utilisation était chose courante.

 

 

1- Voir PDF

2- Dont un certain Caubet qui se déclare Curé, alors que sur les registres paroissiaux, il signe en tant que vicaire.

3- Régisseur.

4- Fusil de guerre.

5- D'après l'article de Benoît Gainot « Aux armes citoyens ! Questions autour du droit naturel et du monopole de la violence dans la période de transition 1770-1795 »-La révolution française (Cahiers de l'institut d'histoire de la Révolution française).

6- A leur création, les Gardes Nationales furent équipées avec ce qu'on avait sous la main : sabres, hallebardes, cuirasses... On peut voir dans la réticence à distribuer des armes à feu la crainte des responsables des arsenaux en des temps où le peuple pouvait retourner ses armes contre le pouvoir ou s'en servir contre les possédants.

7- Nuit du 4 août 1789.

La plupart des informations proviennent du site des Cahiers de l'institut d'histoire de la révolution française.

Les 174 déclarations ont été numérisées et sont consultables à la bibliothèque de Siriona, maison des associations de Podensac.

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