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Les coteaux de Garonne (8e) : à partir de 1965, l’essor de l’œnologie préventive

Le centre œnologique de Cadillac-Podensac

Les années 1950 sont alors celles de la montée en puissance de la science œnologique. Jusque-là, l’œnologie est surtout une pratique assez empirique qui se limite à atténuer les défauts des vins. Elle a un but curatif. La fermentation malolactique est à cette époque considérée comme une anomalie. Les traités d’œnologie en parlent au chapitre des maladies précédant la redoutable « tourne ». On sulfate massivement pour s’en prémunir et on obtient des vins acides et, paradoxalement plus fragiles à la conservation. Elle était réputée aléatoire et dangereuse

En 1949, Jean Ribereau-Gayon est nommé directeur de la Station œnologique de Bordeaux créée en 1880 par son grand-père, Ulysse Gayon, collaborateur de Pasteur et co-inventeur de la bouillie bordelaise. Ses travaux avec Emile Peynaud montrent alors que la  fermentation malolactique non seulement n’altère pas les vins mais les «  rend meilleurs » Leurs recherches font passer l’œnologie d’un ensemble de savoir-faire empiriques à la véritable science qu’elle est  aujourd’hui. L’œnologie devient préventive et la création d’un enseignement pratique d’œnologie pour les professionnels fait connaître cette nouvelle œnologie, explicative, approfondie, détaillée, adaptée à toutes les situations, une œnologie qui a réponse à tout. En 1955 est créé le diplôme national d’œnologue (DNO) et les premiers diplômés ouvrent des laboratoires dans les bourgs viticoles. C’est alors que sont créés en Gironde les premiers laboratoires d’œnologie :

A Cadillac, Joseph David et Pierre Médeville s’inscrivent très tôt dans cette dynamique et initient ainsi la création d’un laboratoire permettant d’appliquer dans les chais les préconisations de l’équipe bordelaise, un atout essentiel pour la bonne commercialisation des vins locaux.

Avec les profits réalisés par les démonstrations de motoviticulure de Donzac, il fut possible au comité d’organisation d’acheter, en 1959, à Cadillac une ancienne boulangerie pour 280 000 francs, afin de créer le premier laboratoire d’œnologie dans le canton, sous la présidence de Joseph David et la vice-présidence de Pierre Médeville.

L’ancienne boulangerie devenue centre œnologique en 1965

L’ancienne boulangerie devenue centre œnologique en 1965

La suite de l’histoire est racontée par Patrick Léon dans un entretien accordé au Cervin en 1965. Ce dernier était alors un jeune œnologue de l’Université de Bordeaux, fraichement titulaire du Diplôme national d’œnologie.

« En 1965, à peine arrivé rue de La Tour, je recrute vite une laborantine, Françoise, qui aura passé toute sa vie à Cadillac… Je prends ma 2ch pour aller à Bordeaux-Chimie récupérer le matériel de laboratoire commandé ; la 2CV était pleine à craquer. A Cadillac les échantillons attendaient sur le pas de la porte…

Les échantillons s’accumulaient et il fallut rapidement installer les paillasses pour y poser le matériel d’analyse ! J’ai commencé avec Jacques Blouin. Les premières semaines nous avons dû dormir quelques rares heures par nuit. Il est resté peu  de temps avec moi, car il dut partir à l’armée, à Libourne. Quand

En ce temps-là, l’œnologie de terrain était rudimentaire, basique. Nous nous en il est revenu, il s’est occupé du laboratoire de Cadillac car à mon tour je suis parti à l’armée, dans la caserne où il avait été à Libourne. Il faut dire qu’entre-temps j’étais devenu « papa » et j’avais donc eu la possibilité de faire mon service militaire dans une caserne proche de mon domicile. Nous étions encore aux fondamentaux avec quatre préoccupations principales :

•             L’eau : il fallait en premier lieu faire arriver l’eau courante dans les chais... A l’époque bien des viticulteurs n’avaient pas d’eau. Dans beaucoup de cas ils s’approvisionnaient au puits. L’adduction d’eau n’était pas répandue partout.

•             La propreté : il fallait faire vider et nettoyer les cuves avant les vendanges. Les « Viticulteurs – Polyculteurs »,  la polyculture était alors dominante, stockaient dans les cuves d’autres produits agricoles : les poules, les lapins, le foin… Il fallait donc qu’elles soient parfaitement nettoyées, balayées et assainies.

•             Le respect des raisins : nous prônions la suppression du « pilon » qui servait à tasser le raisin dans les comportes en bois. Le vigneron était plus soucieux de pouvoir porter plus de vendanges à la cave avec le moins de transports possible que d’hygiène. Aussi que d’oxydation des raisins et de macération des grains dans le jus … Peut-être comme Monsieur Jourdain faisaient-ils de la macération pelliculaire incontrôlée sans le savoir ? Beaucoup de viticulteurs ne pouvaient se résoudre à abandonner le « pilon » qui permettait d’augmenter environ de 20% les volumes transportés dans chaque baste et donc diminuait les coûts de transport d’environ de 20%.

•             L’anhydride sulfureux : nous luttions pour maitriser l’utilisation du souffre, quantifier les besoins, raisonner son bon dosage, incitant à peser le « meta » au lieu de jeter des poignées sans compter.

C’était le « b.a.-ba » des débuts de l’œnologie de terrain : l’eau, la propreté, supprimer les pilons à la vigne et raisonner l’utilisation du SO². Quels débuts !

La situation a évoluée rapidement grâce à la vulgarisation, et au comportement exemplaire des bons viticulteurs.  Au début j’avais une centaine de viticulteurs à conseiller sur les cantons de Cadillac et de Podensac ; Beaucoup d’entre eux avaient l’esprit ouvert, surtout dans cette région où il y avait un fameux CETA (Centre d’Etude des Techniques Agricoles).

Comme « concurrents » nous avions des œnologues privés. Des laboratoires de Bordeaux comme Bailleau d’Estivaux, Laffort, Gendrot, ou comme Legendre à Langon ou encore des pharmaciens locaux comme Segonnes mon voisin à Cadillac. Tous étaient œnologues « diplômés » ou « titrés ». L’œnologie était une option dans le cursus de pharmacien. Alors que nous promouvions une œnologie préventive, ils pratiquaient plutôt une œnologie curative. Ils vendaient ainsi des produits œnologiques.

Pour nous la propreté dans les chais était une incontournable. On nous avait enseigné que les petites bêtes levures et bactéries étaient fragiles ou brutales. Les bonnes sont fragiles. Les mauvaises sont brutales et mangent trop vite les bonnes. Pour faire un vin propre, honnête et marchand il faillait, par l’hygiène, protéger les premières et réduire au maximum l’action des secondes. Donc on a insisté sur le nettoyage des bastes, de la vaisselle vinaire, des pressoirs, des cuves. Les meilleurs vignerons se mirent à les nettoyer, dans le meilleur des cas, une fois par jour pendant les vendanges. Les moins bons une fois par semaine et les autres …une fois par an, la veille des vendanges ! Aujourd’hui on lave les cagettes chaque fois qu’elles passent par le cuvier avant de repartir à la vigne, soit plusieurs fois par jour. La même cagette peut ainsi être nettoyée dix fois dans la journée.

Patrick Léon dans les années 2000

Ce furent les premiers pas de l’œnologie préventive. Le message fut assez difficile à faire passer. Il fallait être persuasif et gagner la confiance du viticulteur, établir une certaine connivence avec la femme du propriétaire qui à l’époque jouait un rôle important : elle s’occupait des vendangeurs, de la cuisine, des dortoirs. La première étape de cette œnologie préventive était une étape psychologique : il fallait faire de la communication avec eux. Et quand on réussissait on pouvait alors entendre : «  Il y avait toujours dans nos villages trois personnes importantes qui sont l’instituteur, le curé et le maire. Aujourd’hui il y en a un quatrième, l’œnologue». Nous avons été aidés par un certain nombre d’élus viticulteurs comme Jacques et Joseph David. Eux étaient les Apôtres. Ils allaient porter la bonne parole, venaient nous aider. Ils  ne sont pas restés repliés sur eux-mêmes. Ils ont cherché à diffuser les bonnes techniques, à vulgariser. Ce furent de formidables animateurs de clubs de viticulteurs locaux qu’ils ont su entrainer avec eux. Ils n’ont pas eu peur d’aller dans les Benauges alors que de Cadillac, monter dans les Benauges relevait de l’expédition dans un autre monde. Et les gens de Benauges sont devenus Membre du Bureau du Laboratoire de Cadillac. Le rôle du Syndicat Agricole et Viticole de Cadillac –Podensac et des cantons limitrophes, animé par la Famille Dejean, fut aussi essentiel. Eux vendaient les produits agricoles, viticoles et œnologiques. La majorité des adhérents du laboratoire se servaient au syndicat, chez Mr Dejean.

Dans cette structure du Centre d’Etudes et d’Informations Œnologiques de Cadillac (CEIOE) il y avait le laboratoire, mais aussi et historiquement avant, la structure de Conseils viticoles, de comptabilité et de gestion. C’est mon ami disparu Jean Luc Duale,  qui s’occupait de la partie viticole-gestion. Il a quitté le labo juste après moi. Enfin une troisième section animée par Bernard Lepert s’occupait du matériel viti-vinicole. Avec Jean-Luc ils auront animé les démonstrations de viticulture. Bernard dépendait toujours de l’ITV et assurait la Direction Nationale de l’ITV pour la partie matériel viti-vinicole. Nous étions tous salarié de l’ITV pour partie et pour l’autre de la Chambre d’Agriculture »

En 1972 j’ai quitté cette structure, après mes 7 premières années « d’œnologue de campagne ». Pourquoi ce départ ? Jeune œnologue je cherchais d’abord à diffuser les bonnes méthodes œnologiques en espérant qu’elles amèneraient de la valeur ajoutée à ceux qui les mettraient en pratique… avec succès. Sans doute par origine familiale – ma mère était commerçante – je souhaitais que les gens qui travaillent le mieux vendent leur vin dans de meilleures conditions.  Malheureusement ce n’était pas toujours ceux qui produisaient le meilleur qui vendaient le mieux.

Il y avait à l’époque une cave coopérative de vins à Sainte-Croix-du-Mont. Les adhérents-viticulteurs vinifiaient leurs raisins chez eux, dans leur cave. Ils amenaient seulement une partie de leurs vins à la cave coopérative. Nous avions élaboré un cahier des charges pour l’acceptation et l’agréage des échantillons de vins proposés par les adhérents. Ce fut du sport …mais rapidement ils ont tous joué le jeu collectif. La Coopérative  élevait les vins, procédait aux assemblages et faisait la mise en bouteille pour alimenter des réseaux commerciaux de négociants bordelais. La cave était adhérente au laboratoire. Je m’entendais très bien avec le Président. J’étais curieux des relations commerciales avec les négociants.

La cave de Sainte-Croix-du-Mont dans les années 60 (photo Norbert Lados)

La cave de Sainte-Croix-du-Mont dans les années 60 (photo Norbert Lados)

J’étais alors très ami avec Henri Lévèque, grand courtier, viticulteur à Podensac, et adhérent au laboratoire de Cadillac. Il était le correspondant pour toute la région des Graves. La maison de Négoce de Bordeaux Sichel gérée par son propriétaire Peter Sichel, un grand homme du vin, excellent dégustateur, créa en 1965 un vendangeoir à Saint-Maixant dans les Premières Côtes de Bordeaux. Ce vendangeoir était installé à Bel Air chez un adhérent du laboratoire, Michel Bouchard. Sur la demande de Henri Lévesque, j’ai participé à aider Peter Sichel à créer son centre de vinification. Parmi ses fournisseurs de raisins, beaucoup étaient des adhérents du laboratoire. Cela était pour moi un atout non négligeable. Avec Peter et Henri, nous avons  rédigé le cahier des charges pour la fourniture des raisins. On achetait les raisins : c’était très novateur. Cette formule me plaisait par son originalité et sa nouveauté : associer à Bordeaux, un laboratoire d’œnologie, un viticulteur, un courtier et un négociant. Enfin chaque famille professionnelle se parlait sur un projet commercial commun ! Avec Henri nous avions aussi envisagé de créer ensemble une société de prestations de services pour la mise en bouteille au château et à la propriété.

Bien sûr mon objectif était toujours d’essayer de valoriser les meilleurs vins. On avait alors imaginé un projet afin que le laboratoire  de Cadillac, sans interférer sur les actes commerciaux, intervienne au-delà de ses compétences techniques et de vulgarisateur et participe comme conseil à la mise en marché. Ce fut impossible d’obtenir l’adhésion des élus locaux. Un jour je leurs dis que cela me devenait de plus en plus difficile de supporter la situation des vins locaux que j’interprétais comme un échec économique et donc social. Je propose alors de créer, à côté du laboratoire, une structure autonome de mise en valeur des vins. Ils me répondirent que comme élus ils ne pouvaient pas. Je les informais alors que dans ces conditions je ne pouvais plus continuer de m’investir intellectuellement et durablement dans le devenir du laboratoire. M’ont-ils cru ?

Je suis parti en 1972 et c’est  la personne que j’avais formé depuis plusieurs années comme mon adjoint, Lucien LLorca, qui a pris la direction du laboratoire. »

Après ce démarrage, l’œnologie préventive poursuivit son essor. Ce développement des activités au service des vignerons afin d’assurer au fil de ans une production de qualité toujours assurée entraine la construction d’un nouveau centre implanté 22 Chem. le Vergey à Cadillac et que nous pouvons découvrir sur le site : https://www.enosens-cadillac.fr/.

Ce centre est un des facteurs importants de la bonne mise en place des AOC créés en 1936 et que les viticulteurs ont mis en application après la guerre.

(à suivre)

 

 

 

 

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