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1998 Les Mystères du Sauternes ou regards croisés sur les vins liquoreux européens

Suite à l'article que nous avons publié récemment (https://siriona-rives-de-garonne.over-blog.com/2023/11/memoire-du-sauternes.html) sur le testament viticole d'Alexandre de Lur Saluces), Siriona propose de remettre en perspective l'origine du Sauternes et des vins liquoreux avec un extrait d'un article de Philippe Roudié publié en 1998. Sa conclusion permet de nuancer les propos de l'ancien propriétaire du château d'Yquem...

Les vignobles de vins blancs du Sud-Gironde

Philippe Roudié "Au coude que la Garonne forme peu après son entrée en Bordelais, non loin de la petite ville de Langon, en enclave dans le pays des Graves et au débouché de la petite rivière du Ciron s'étend un petit vignoble mondialement réputé, celui de Barsac-Sauternes. L'exceptionnelle qualité de ses vins blancs liquoreux (complétée par celle de l'appellation Cérons en aval; et celle des appellations sur la rive droite de la Garonne de Loupiac et Sainte-Croix du Mont) ne saurait cacher que c'est là pourtant un petit vignoble de l'ordre de 2 250 hectares produisant environ 50 000 hectolitres en année normale : ce qui intéresse quelques centaines de viticulteurs s'intitulant presque tous aujourd'hui "châteaux" dont une vingtaine, qui en forment l'élite ont été promus crus classés officiellement en 1855, lors de l'exposition universelle de Paris ; avec le château d'Yquem en tête, seul "premier cru supérieur".
    Au niveau du Bordelais, ce vignoble ne pèse que par sa notoriété, car il ne représente guère que 2 % de la superficie viticole du département, et à peine 1 % de sa récolte en raison des très faibles rendements obtenus face aux blancs secs et surtout aux rouges. Pourtant ces vins blancs liquoreux sont les seuls vins blancs de Gironde à figurer au palmarès girondin de 1855, avec les nombreux Médocs (plus Haut-Brion assimilé), seulement rejoints en 1956 par des Saint-Emilion, donc des rouges, reclassés quatre fois depuis (le dernier classement date de 1996) et en 1953 revu en 1959, par quelques crus de graves rouges et blancs.
    Si ce petit coin de terre a acquis une notoriété mondiale, comme d'autres ailleurs sur la planète, c'est que son produit est une de ces réussites que le génie de l'homme-vigneron a pu tirer d'une terre exceptionnelle.

 

Terroirs et histoire


    A/ Les terroirs du Sauternais
    Le terroir, puisque données de la nature exceptionnelles il y a, est hétérogène mais limité à cinq communes pour Sauternes, une seule pour Barsac,. La topographie y oppose d'ailleurs deux secteurs de part et d'autre de la petite rivière du Ciron. Sur la rive droite, ce sont des hautes croupes de graves caillouteuses, sur un sol maigre aux pentes arrondies parfois pourtant raides : au point qu'autrefois on parlait même de Haut-Sauternes. De l'autre côté, ce sont plutôt des terres assez plates et surtout  rousses faites le plus souvent de sols de décomposition sur un soubassement calcaire dont des éléments caillouteux blancs apparaissent aussi en surface.
    C'est en fait beaucoup plus le climat qui fait l'originalité de la région des vins blancs. Et en particulier l'existence en automne d'un brouillard qui ne vient pas de l'Atlantique, ni même  sans doute de la Garonne, mais plutôt des eaux du Ciron ; nocturne, dispersé brutalement par les rayons d'un beau et chaud soleil qui évapore l'humidité déposée sur les grappes, ce fléau salutaire a pour effet de déchaîner en quelques heures un champignon qui pourrit littéralement les baies , le botrytis cinerea. Mais cette pourriture est dite noble, très différente de la mauvaise, la grise, car en diminuant le pourcentage d'eau dans le raisin elle en augmente celui du sucre naturel, prometteur d'un degré alcoolique élevé. Le botrytis, a d'ailleurs des effets curieux : il ne crève pas la peau du raisin mais la flétrit, la racornit, desséchant la grappe qui se couvre ainsi d'une poussière duveteuse fort peu engageante à la vue mais délicieusement sucrée au goût. Mieux encore, il n'agit que progressivement attaquant les graines une à une, engageant ainsi un processus de pourrissement long et sélectif.

Evolution d'une grappe de sémillon à en Sauternais
    

De là la profonde originalité des vendanges. D'abord, elles sont tardives pour autant que l'action conjuguée du soleil et des brouillards matinaux ne se produit guère qu'en octobre, voire en novembre, très exceptionnellement même en décembre. De plus la cueillette consiste non à couper la grappe mais à détacher le raisin grain à grain de la partie ligneuse de la plante : le sécateur n'est pas nécessaire ; un simple choc infime suffit à faire tomber le grain pourri et desséché-presque un ramassage sur pied de fraction de grappe de raisins secs. Mais tout n'est pas cueilli en même temps puisque la maturité est très échelonnée dans le temps. D'où la nécessité de nombreux passages successifs dans la vigne : ce sont les tries, (terme toujours employé au féminin !) multipliées autant qu'il est nécessaire.
    On comprend bien ainsi que la main d'oeuvre des vendangeurs, qui doit être à tout moment disponible, reste parfois longtemps dans l'attente des premiers symptômes du botrytis. Point de recours alors ici à des cueilleurs inexpérimentés ou venus de loin -guère d'étudiants, pas de cheminots du nord de la France, ou de jeunes étrangers venus gagner quelque argent de vacances. Et pas de vendangeurs espagnols, qui pourtant entre 1960 et 1983 venaient par milliers d'Andalousie ou d'Extremadure dans de nombreux domaines du Bordelais. Et surtout pas de machines à vendanger ici, alors qu'elles ont fait une entrée spectaculaire ailleurs en Gironde devenue le premier département de France par leur effectif. Mais au contraire, une main d'oeuvre locale, habituée au travail, fournie le plus souvent par les femmes du voisinage. Vendanges tardives et tries successives sont ainsi le témoignage indubitable d'un vin liquoreux naturel ; et elles font toute l'originalité du vignoble sauternais. photos

    

Vendanges manuelles au château de Fargues en Sauternais 

(cliché F. Poincet in Château de Fragues Glénat))

Il ne reste plus qu'à trouver le mécanisme d'action du botrytis et à repérer dans l'évolution chronologique du vignoble l'époque où ces phénomènes sont apparus pour dissiper les mystères du Sauternes. Pour le premier fait, les œnologues de Bordeaux ont déjà magnifiquement œuvré  mais sur le plan historique, les recherches sur la naissance du Sauternes en sont à leur balbutiement, faute on doit l'affirmer, non du désintérêt des historiens ou des curieux , mais de l'extrême rareté ou plus encore de la dispersion des sources. Car au fur et à mesure que l'on remonte le temps, les documents utilisables se réduisent à des allusions, des faits parfois infimes en eux-mêmes mais dont la collecte -accumulée et croisée- peut s'avérer passionnante et riche d'enseignements.

    B/ Le Sauternes né au XIXème siècle ?
    Pendant longtemps on a -assez facilement- fait remonter la naissance, pour tout dire la découverte, des vins liquoreux naturels du Bordelais à la charnière du XIXème siècle. Edouard Féret, l'auteur le plus fiable, d'autant que son ouvrage a été édité 15 fois entre 1853 et 1994, est très net à cet égard . En 1874, en effet il écrivait ceci : "D'importantes modifications ont été apportées, depuis vingt ans environ, dans la vinification des produits de ces coteaux favorisés ; autrefois, (on se) contentait de la finesse et du parfum suave... et l'on vendangeait les raisins aussitôt murs ; aujourd'hui le goût a changé, et il faut donner à ces vins la douceur, le moelleux, l'onctuosité qu'on ne leur demandait pas jadis et qui en font à la fois du vin et de la liqueur... (et qu'on obtient) en laissant le raisin dessécher une fois mûr et se rôtir aux doux rayons du soleil d'octobre. On le cueille ensuite graine à graine, en ne prenant que les baies rôties à point en repassant plusieurs fois au même pied pour leur laisser le temps de rôtir toutes à peu près également."
Et cette citation, d'une clarté aussi limpide que les vins auxquels elle se réfère est corroborée par l'étude des prix des vins de la région qui vont en deux décennies s'envoler de façon spectaculaire. Ne serait-ce que pour ceux du cru d'Yquem passant de 750/800 francs le tonneau de 900 litres vers 1820-1830 à 1 250 francs en 1834, 1600 francs en 1847 (alors fort en retrait par rapport aux meilleurs vins rouges du Médoc), ceci en primeur. Mais, peu à peu ces vins qui vieillissent facilement vont être vendus sur de vieux millésimes conservés en tonneau allant jusqu'à la fameuse transaction de 1859 où un tonneau de 1847 fut vendu au grand-duc Constantin frère du Tsar de Russie au prix de 20 000 francs. Certes, cette vente était sans doute exceptionnelle, vu la qualité tout aussi exceptionnelle de l'acheteur. Pourtant, les meilleurs vins liquoreux du pays sauternais semblaient faire une percée remarquable dans le petit monde des vins liquoreux européens. En témoigne un fait bien connu et tapageusement mis en valeur en 1867 lors de l'exposition universelle de Paris, douze ans donc après celle de 1855 qui avait promu quelques liquoreux du Bordelais. Une dégustation à l'aveugle devant un jury composé d'Anglais, d'Allemands et de Français, mit en concurrence des vins du Rhin et de Sauternes. A l'unanimité il déclare supérieur un cru qui se révéla être un Vigneau-Pontac 1861!
    Un autre fait, sans doute peu connu à l'époque, plaide aussi en faveur d'une découverte plus ou moins fortuite des vertus de la pourriture noble ; et ceci en 1836, mais rapporté en 1915 seulement par le docteur Martin , alors en recherche de l'ancienneté du type de vin de Sauternes au moment de la naissance et surtout du problème de la délimitation des appellations d'origine. Un certain Eugène Garbay raconta en effet au docteur Martin qu'il avait entendu colporter une idée relatée par le régisseur Clavié du château La Tour Blanche appartenant alors au négociant allemand de Bordeaux Focke, par ailleurs époux d'une dame née Merman, en fait Meerman d'origine Hollandaise. Un automne particulièrement pluvieux leur aurait fait différer fort longtemps de cueillir leur raisin. "Le propriétaire (Focke) n'avait pas désespéré, à l'encontre de ses voisins, de sauver sa récolte, parce que étant originaire du Rhin, il aurait été guidé par la connaissance des usages viticoles de son pays d'origine."

    C/ Des origines à faire remonter au XVIIIème voire au XVIIème siècle
    Pourtant l'affirmation de la découverte et du développement du type vin liquoreux à Sauternes, entre 1836 et 1860, ne résiste pas longtemps à l'analyse des faits. Car une multitude d'indications, certes très éparses et fragmentaires, plaide en faveur d'une existence plus ancienne du phénomène. Le courtier Paguierre  par exemple, dans un petit livre réservé à ses collègues, avait déjà noté, en 1829, que les vins blancs des environs de Langon, Haut et Bas Preignac, Barsac, Bommes et Haut et Bas Sauternes se distinguaient des vins blancs des Graves par leur corps, leur sève, voire leur moelleux (cependant moindre qu'à Loupiac et Sainte-Croix du Mont) ; il ne les classe cependant pas au rang des vins doux (qui ont nom Bergerac, Sainte-Foy, Castillon et Montravel, Clairac, Buzet, Lunel et Frontignan). Mais Paguierre est en retrait sur Cavoleau (1827)  et Jullien (1816, 1822, 1832...)  : le premier parle déjà de "vins liquoreux (qui) sont Sauternes, Bommes, Barsac et Preignac" et pour lesquels "on passe quatre ou cinq fois dans les vignes" ou "l'on détache avec des ciseaux les grains dont la maturité est complète". Le second écrivait clairement qu'à côté «  des Graves de goût sec, le Sauternes, le Barsac, le Preignac, le Langon, etc... sont très moelleux, ou pour mieux dire semi-liquoreux et assez spiritueux. La différence de ces caractères provient principalement du degré de maturité qu'on laisse acquérir aux raisins. Dans les Graves, on vendange en une seule fois, tandis que les vins blancs de Sauternes et autres du même genre, surtout ceux de première qualité, sont vendangés à plusieurs reprises. On ne cueille les raisins qu'à mesure qu'ils pourrissent et lorsque la pellicule a acquis une couleur brune et qu'elle s'attache aux doigts : ce qui fait que la vendange dure souvent deux mois. »
    Et Nicolas Bidet , un demi-siècle auparavant (1759), indiquait que ce n'était pas là vin doux de primeur, mais des raisins vendangés tard appelés "vins de l'arrière-saison", qui d'ailleurs gagnent en vieillissant.
    Dans des archives inédites du Bordelais, en particulier celle de la famille de Lur-Saluces  les indications de tries ne sont pas rares au XVIIIème siècle, comme en 1784 au domaine de Filhot où sont mentionnées trois tries de raisins blancs pour 9 des 10 pièces de vignes, échelonnées du 1er octobre au 29 octobre, la 10ème pièce n'ayant subi que deux tries. Mieux encore, par acte passé le 4 octobre 1666 à midi par devant le notaire royal de Barsac, a comparu François de Sauvage, escuyer et seigneur Diquem ; il est mentionné qu'"il est de coutume de vendanger et ? à Bommes et à Sauternes que vers le quinzième d'octobre..." .. Texte corroboré d'ailleurs par les archives du château la Tour à Coimères (en Bazadais) où François de Laroque, curé de la paroisse tient un livre de compte en son nom et celui de ses frères et sœurs. En 1694, les vendanges ont commencé le 17 octobre ; et pour 54 barriques de vin blanc et 14 de rouge, il mentionne "l'état de la vendange faite en Octobre et Novembre 1694", ainsi que d'une vente d'un tonneau de vin blanc de la récolte de 1692, donc vieux qui ne pourrait donc être sec ! 
    Nul doute alors que de nombreuses autres mentions de vin doux, moelleux, voire liquoreux, que des indications même sporadiques de tries successives et de vendange pourrie n'existe dans quantité de texte du pays bordelais avant le XIXème siècle. Le problème est cependant de savoir si cette pratique aujourd'hui codifiée des tries successives exigées par la pourriture noble du botrytis était systématique ou seulement épisodique dans le temps et plus ou moins limitée dans l'espace, réservée à quelques viticulteurs audacieux ; et qui peut-être n'en récoltait pas toujours les bienfaits puisqu'il n'apparaît pas clairement que ces vins doux aient été systématiquement vendus plus cher que les autres vins blancs, en particulier les secs !
    Il est donc manifestement d'assez nombreuses mentions pour affirmer sans contrefaire l'histoire l'origine locale, fortuite ou non peu importe, de l'invention -pour mieux dire la découverte- des vins liquoreux en Bordelais.
 

II.LES AUTRES VIGNOBLES A VINS LIQUOREUX 

    Une lecture plus large des textes publiés, ou des archives inédites, doit impérativement faire référence aussi à ce qui se faisait ailleurs qu'en Sauternais. Car les auteurs mentionnés plus haut (Cavoleau, Jullien, Franck, Bidet...) mentionnent aussi d'autres vignobles à vendanges tardives, voire à tries successives ! Ce qui doit amener à poser crûment la question : et si Sauternes avait copié  ce qui se faisait ailleurs ? D'où la nécessité des "regards croisés" !

    A/ Dans le Sud-Ouest français
    Et pourquoi pas, tout simplement, de l'autre côté de la Garonne, sur les coteaux de Loupiac et Sainte-Croix du Mont ? A côté des auteurs cités plus haut, d'autres s'en font aussi l'écho comme l'abbé Rozier  qui en 1792 signale les tries en Bordelais : "cette opération est tellement minutieuse dans certains cantons, tels que Sainte-Croix, Loupiac que les vendanges y durent jusqu'à deux mois". Une quarantaine d'années auparavant, le 8 octobre 1756, à Loupiac, l'homme d'affaires du bien de Hillau (ou Fillau) possédé par la famille Combabessouze signale que "nous faisons choisir le pourri du blanc depuis le mardi 28 septembre dont nous avons rempli 24 barriques neuves : ce vin ne sera pas doux mais il aura du corps" . Au même moment, de 1745 à 1780, les comptes de gestion et le livre de raison de M. du Tyrac, propriétaire du domaine de Rondillon à Loupiac, analysés de façon détaillée par G. Bord  montre la relative banalité des vendanges tardives et des tries : de 1764 à 1773 aucune récolte se termine avant le 24 octobre et six fois après le 11 novembre. Si l'on ne trie pas le rouge, on le fait souvent en blanc, en particulier en 1750 et 1752.
    Non loin de là à Cadillac, c'est aussi dès la première moitié du XVIIIème siècle que, grâce aux notes de l'abbé Bellet , chanoine de la collégiale et surtout membre de l'Académie Royale des Sciences, Belles Lettres et Arts de Bordeaux, on peut repérer de façon claire la pratique des tries (1730, 1731, etc...).

Le vignoble de Langoiran en appellation Cadillac


Et il en va de même en pays bergeracois où le 11 août 1774 une délibération de la Jurade de la ville mentionne textuellement : "comme il importe infiniment pour ce pays... de laisser plus longtemps que dans d'autres endroits la vendange sur pié pour en attendre le dernier degré de maturité et de pourriture...". Et Jacques Beauroy de préciser  que ceci remonte sans doute à un siècle auparavant grâce au vin muscat, apprécié par l'aristocratie locale et la Hollande.
    Même remarque en Agenais, plus précisément au pays de Clairac ou selon Granat reprenant M. Vivens on vendangeait en décembre, voire même en janvier en 1740, 1749, 1751, 1752 ! Ceci étant confirmé en 1762 par une supplique des habitants : "on s'est attaché à y faire des vins doux... qui avaient de la réputation en Hollande" .
    Et pour compléter ce tour dans le Sud-Ouest, on peut aller aussi au pied des Pyrénées ; par exemple, en 1767 où Sarrau de Boynet pose la question : "pourquoi ne vendange-t-on dans le Béarn que vers la fin de novembre et plus tard, souvent quand le raisin est couvert de verglas et de neige..."

.Le vignoble de Jurançon

    B/ Ailleurs en France ?
    Il faut pourtant aller bien plus loin encore. Car les vins liquoreux obtenus par tries et vendanges tardives se retrouvent bien ailleurs. Deux auteurs languedociens n'hésitent même pas à faire provenir les Sauternes de la copie pure et simple de ce qui se faisait à Frontignan . Malheureusement sans preuve documentaire à l'appui, ils affirment que les gelées de 1709 et les guerres de Louis XIV interrompirent l'approvisionnement en vin de Tokai hongrois de l'aristocratie parisienne. Lur-Saluces propriétaire d'Yquem voulut combler ce vide et serait alors venu à Frontignan étudier l'élaboration de ce cru ; il y rencontra aussi un maître verrier qu'il fit venir dans sa propriété landaise et la bouteille de frontignan devint la bordelaise.
    Nos enquêtes girondines n'ont pas jusqu'à présent confirmé ce scénario attribuant à Frontignan la double paternité de la bouteille et des vins liquoreux. Même s'il est vrai que dès le XVIIIème siècle, la bouteille à Bordeaux est désignée souvent de ce vocable et si -à l'évidence- des vins liquoreux étaient produits en Méditerranée.
    En Anjou aussi on produisait des liquoreux  dans les coteaux du Layon (Bonnezeaux, Quart de Chaumes, Savennières) en particulier au domaine de la Roche Vineuse où selon le docteur Maisonneuve, un comte de Serrant, aurait ramené quelques plantes de Verdelho. D'où la fameuse coulée de Serrant.

    Le vignoble de Quart de Chaume en Anjou

 

C/ A l'étranger ?
    Voilà qui nous amène à Madère, sur le Rhin allemand tout comme à Tokay en Hongrie ou même en Crête, ou en Andalousie, car les rapprochements avec ces types de vin sont fréquents dès le XVIIIème siècle et plus encore au XIXème siècle. L'abbé Rozier   cite à côté du Rivesaltes languedocien, les
îles de Candie (Crête) et de Chypre, où "on laisse faner le raisin avant de le couper" et "Tokay où on dessèche le raisin", y ajoutant même quelques autres vins liquoreux d'Italie, Arbois, et château Chalon (dans le Jura français), Condrieu (sur le Rhône), vin de paille et de Touraine".

Le vignoble de Madère


    On connaît aussi l'aventure des vins du Rhin  rapportée par R. Weinhold. "Après qu'un courrier du prince évêque de Fulda chargé d'annoncer le début de la vendange se fut attardé de plusieurs séminaires en chevauchant vers Johannisberg dans le Rheingau, c'est alors, vers les années 1760, que l'on découvrit et utilisa la qualité des raisins Riesling à maturité dépassée". Et l'auteur d'ajouter que si "cette histoire rappelle un peu la légende de Tokay, il est incontestable cependant que le Rheingau fut le premier à introduire la pratique de la vendange tardive dans le vignoble allemand...".

Le vignoble de Tokay, le roi des liquoreux
    

Car cela nous ramène en effet à Tokay où toujours selon le même auteur "c'est vers 1650 qu'un intendant du prince Rackoczi qui régnait à cette époque sur la Transylvanie avait par crainte des invasions ennemies, différé la vendange dans le vignoble Oremus de Tokay jusqu'au mois de novembre. Il avait aussi, sans le savoir, favorisé le cours des choses que nous connaissons à travers la description de Szirmay "(1803 ?).
    Reste encore à prouver les liens de causalité entre ces diverses zones, ce qui n'est pas chose aisée : car on peut aussi plaider pour des naissances séparées sinon simultanées sans aucune influence réciproque. Au demeurant un document inédit montre qu'à la fin du XVIIIème siècle en Bordelais, on n'ignorait pas la parenté des Sauternes et des vins de Hongrie. Car sur un registre commercial de la famille de Lur-Saluces daté de 1771, un long passage sur les vins de Hongrie tiré "d'un journal de voyage imprimé à Berlin"  a été recopié scrupuleusement. Même s'il n'y est pas question de trie ou de pourriture noble, le fait qu'un propriétaire sauternais de la fin du XVIIIème siècle s'intéresse aux vins hongrois n'est pas sans intérêt.

 

    Au terme de ce nouvel essai sur l'origine des vins liquoreux, on doit avouer que l'on n'est guère plus avancé que le docteur Martin ne l'était au début du siècle. L'apport de documents nouveaux ne fait que renforcer l'idée d'une origine ancienne, en Sauternais comme ailleurs. C'est là un fait acquis. Mais en l'absence de sources majeures, ou d'une mise en parallèle de nombreuses mentions éparses, on en est réduit à toujours douter : découvertes progressives un peu partout, influences unilatérales ou réciproques ?"inventions" simultanées en divers endroits, Le débat reste encore largement ouvert." (Philippe Roudié 1998)

Le texte complet de la communication de Philippe Roudié peut être consulté à :

la Bibliothèque de Siriona,

Maison des associations, chemin lotissement La Gâtine, 33720 Podensac où l'on vous attend chaque vendredi de 14h à 17h. En dehors de ce jour, il est possible de prendre rendez-vous au 06 08 58 85 61

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