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RETOUR SUR DES GALETS INSOLITES

Cet article fait suite à un article d'Ivan Guillitch publié dans la revue Siriona.

Dans son article publié dans le n° 22 de la revue, Ivan Guillitch attirait notre attention sur des galets travaillés découverts à la limite des communes de Barsac et d'Illats, s'étonnant du peu d'intérêt que suscitaient ces objets manifestement anthropique, voire de la condescendance rencontrée lors de leur présentation.

 

Ayant pour ma part collecté quelques uns de ces galets intrigants et après en avoir discuté avec Ivan Guillitch, j'ai décidé de mon côté d'effectuer quelques recherches dont je vous livre les résultats.

 

Où les trouve-t-on?

Les premier galets que j'ai trouvé l'ont été sur le territoire de Barsac, dans les vignes du château Climens, en bordure de l'A 62. J'en ai aussi trouvé au lieu-dit Baulac, toujours sur la commune de Barsac, mais aussi quartier Le Blanc, sur la commune de Pujols-sur-Ciron. En élargissant les recherches, j'ai constaté que la répartition de ces galets n'était pas uniforme et qu'il pouvait s'intercaler des zones vides entre deux zones où on les trouvait en nombre, ce qui peut correspondre à une évolution du paysage et de l'implantation humaine au cours des siècles.

D'autres part, il semble que la fréquence de ces galets travaillés n'a pas de lien avec la présence pléthorique de galets « bruts » comme, par exemple, entre Podensac et Illats* dans des champs labouré ou des vignes où ces galets de toutes tailles affleurent en grande quantité, ou à Barsac au Lieu-dit La Clotte, dans des vignes en contrebas de la voie de chemin de fer. Ceci étant, il est possible de trouver au même endroit des galets travaillés et d'autres compatibles à la taille, mais restés intacts.

Une hypothèse possible serait que la présence de ces galets s'explique par une occupation ancienne le long du paléo lit du Ciron. Ils pourraient donc avoir été triés sur place, là où ils abondaient, pour être rapportés dans les lieux de peuplement ou des "ateliers" et façonnés en vue de leur utilisation. A ce jour, il n'y a pas réellement d'éléments suffisants pour étayer cette hypothèse.

On peut dresser une carte, pour le moment incomplète, des lieux où trouver ces galets en quantité suffisante pour affirmer qu'ils n'y sont pas par hasard, mais que leur présence signe une activité humaine qui reste à déterminer.

La première carte indique les zones où se rencontrent des galets travaillés, mais ne tient pas compte des « gisements » de galets bruts.

La seconde carte donne une idée plus précise de la répartition des lieux où se rencontrent aussi bien des galets travaillés (zones rouges) et bruts (zones bleues).

Cette dernière carte ne tient compte que de lieux d'accès facile: vignes, labours; ce qui n'obère pas la possibilité de trouver ce genre de galets en forêt.

* Seulement deux exemplaires trouvés à Boisson et Avenue du Général de Gaulle à Podensac.

Peut-on définir une typologie de ces galets ?

Oui et non.

Dans son article, Ivan Guillitch affirme : « Il s'agit de galets de Garonne en quartzite, plats et de faible épaisseur. Ce qui n'est pas commun, c'est leur pourtour, ou une partie de leur pourtour, qui au lieu d'être arrondi, a la forme d'une étroite bande plate, délimitée de la surface du galet par un angle droit ».

Clairement, la plupart des galets récoltés présentent des caractéristiques récurrentes ; ils sont en quartzite de couleur variant du gris au brun plus ou moins foncé, ils comportent deux faces quasiment planes et leur épaisseur ne dépasse pas 2,5cm. Ils peuvent être de formes diverses, plus ou moins arrondis ou oblongs, mais à première vue, dans la plupart des cas, leur forme générale n'est pas modifiée.

La taille de ces galets peut varier dans des proportions importantes, certainement liée à l'usage auquel on les destine, mais ils sont tous de taille et de poids permettant une utilisation suffisamment confortable, qu'ils soient tenus à pleine main pour « dégrossir » l'ouvrage ou entre le pouce et deux ou trois doigts pour un travail plus minutieux.

 

Le fait d'élargir la recherche de ces galets à un territoire plus grand amène des variations dans la manière dont ils se présentent. Ainsi, même s'ils comportent généralement une bande travaillée formant un angle droit avec les flancs du galet, cet angle peut varier. Dans un cas, la pierre a été travaillée sous deux angles différents et forme une arète.

Si la forme générale du galet est la plupart du temps conservée, un exemplaire a été taillé de façon à dégager un angle d'environ 90°. Dans son article, Ivan Guillitch présentait un galet ayant les mêmes caractéristiques .

 

A gauche le galet de M. Guillitch

 

 

Trois autres galets présentent des caractéristiques qui divergent.

Le premier, de petite taille (3x3cm) est travaillé suivant quatre plans différents qui, en se rejoignant forment une pointe. Il pourrait s'apparenter à un type d'abrasif dit « Polyèdrique ».

 

Enfin, deux autres artefacts ont une morphologie beaucoup plus atypique mais partagent quelques catractéristiques avec les pièces dont il a été question. Il s'agit là encore de galets de quartzite, mais ils semblent ne pas avoir eu une seule fonction d'abrasion ou de polissage.

Le premier semble avoir été volontairement cassé dans son épaisseur pour ménager une surface plane. Cette surface paraît avoir été piquetée ou martelée. Il est possible que la pierre ait été utilisée comme un tas ou une petite enclume ou que cette face ait servi de molette. Sur la première photo , la partie droite montre clairement des traces d'abrasion à l'une des extrémités (flèche).

 

 

Le second semble lui aussi avoir été cassé, mais cette fois, la surface dégagée n'est pas parfaitement plane, mais présente deux cavités parallèles peu profondes qui évoquent une fonction de polissage. Sur l'autre face, une bande d'usure coure sur toute la longueur (flèche). L'extrémité porte elle aussi des traces d'usure.

 

 

Que peut-on en déduire ?

Partant du peu que l'on sait de la distribution géographique de ces objets, de la récurrence de certaines de leurs caractéristiques et de l'évidence de leur origine entropique, est-il possible d'affirmer que nous sommes en présence d'outils lithiques destinés à la finition d'artéfacts métalliques et plus particulièrement de bronze ?

 

La première difficulté rencontrée est simple et déjà énoncée par Ivan Guillitch : il n'existe pas à ce jour d'articles ou de communications concernant la présence de ce type d'objet sur le territoire qui nous intéresse (ni d'ailleurs sur le reste du territoire Aquitain). Cette constatation en induit une autre : il est difficile de faire admettre qu'ils offrent un réel intérêt, puisque n'étant pas déjà décrits, ils n'existent en quelque sorte pas. On peut toutefois trouver sur le sujet quelques publications qui se divisent en deux catégories. Les plus anciennes, comme celle du Comte J. Baupré* ou du Commandant Octobon** posent la question de l'usage de galets portant des traces d'usure, mais restent vagues sur leurs conclusions. Broyons ? Molettes ? Abrasifs ?

Plus récemment, des archéologues, comme Nathalie Thomas, Caroline Hamon ou Stéphane Blanchet ont abordé la question sous l'angle technique, s'appuyant sur des méthodes scientifiques modernes (micrographie, archéologie expérimentale, recherche et analyse de traces de métaux...). Ici, l'étude part d'une affirmation : nous nous trouvons en présence d'outils, reste à en définir l'usage et la destination. Dans les deux cas, force est de constater qu'il s'agit de textes concernant des régions éloignées : Centre de la France, Armorique, Ariège et Cyclades . Toutefois, ils pointent l'utilisation de matériaux locaux, grès, quatzite ou pierres volcaniques, ce qui tendrait à prouver que la singularité de « nos » galets si frustes tient essentiellement au fait qu'ils étaient « à portée de main ».

*Note sur des galets portant des traces d'usage et désignés sous les noms de broyons et de molettes. (Société préhistorique des France - 1905)

**Contribution à l'étude de techniques néolithiques. Outils à biseau poli et outils triangulaires. (Société préhistorique française – 1938)

 

Une deuxième difficulté tient au fait que les objets étudiés dans ces publications l'ont été dans le cadre de fouilles permettant de confronter les objets trouvés avec d'autres objets dont la typologie et l'usage sont déjà repérés, ce qui permet au moins de les situer dans le temps, voire de les relier entre eux. Il est clair que la découverte d'un ou plusieurs artefacts ou d'un fourneau de l'âge de bronze accompagnés de quelques uns de ces galets donnerait plus de poids à l'hypothèse d'un lien entre les objets manufacturés et les outils de pierre, ce qui n'est pas le cas. S'il n'existe pas de fouilles effectuées à ce jour, on peut cependant constater ça et là dans le secteur la présence de blocs minéraux noirâtres, plus ou moins gros, à l'aspect de roche volcanique, signe de la présence de petits ou moyens fourneaux et d'une activité métallurgique. Certains de ces déchets de fonderie sont incrustés de nodules vert-de-gris, marquant la présence de métal cuivreux oxydé. Il est cependant difficile de dater ces scories dans la mesure où cette activité métallurgique a perduré bien après la période concernée.

 

S'il n'existe pas trace de fouilles dans le secteur, dans un article intitulé « Protohistoire de la Grande Lande », Julia Roussot-Larroque note la présence d'une hache de type médocain à petits rebords de la période bronze moyen trouvé à Illats (Bardié 1898) sans autre commentaire ni précision sur le lieu exact de la découverte. De la même façon, elle fait état dans une autre publication de deux poignards et d'une pointe de lance de la même période découverts à Barsac dans les carrières d'argile de l'entreprise de briqueterie Fillatre*. Selon elle, ces trois objets ne forment pas un ensemble, il ne s'agirait pas d'un dépôt, mais peut-être plutôt d'un groupe de sépultures. Quoiqu'il en soit, ils témoignent d'une occupation à l'âge du bronze d'un territoire qui s'étendait sans doute au delà de la zone qui nous intéresse.

Lieu-dit Tournet à Barsac (Gironde). 1 et 2 poignards, 3 pointed de lance en bronze. (Dessins J. Roussot-Larroque).

Pour revenir sur le sujet des galets usés et de leur dispersion, dans son article Ivan Guillitch mentionne le site mégalithique des Hountètes à Illats, proche de ses premières découvertes. De même, certains galets ont été ramassés à Pujols-sur-Ciron, à proximité d'une parcelle où se trouvent des traces d'occupation néolithiques (Siriona n°23). Cependant, les sites ne semblent pas se chevaucher, en tout cas, concernant Pujols-sur-Ciron, le site des Hountètes, situé dans les bois rendant difficile la recherche de ces galets.

Il est possible qu'au fil du temps les lieux d'implantation se soient déplacés, qu'ils se soient agrandis, que leur population se soit dispersé ou qu'ils aient temporairement disparu. Le cas est signalé sur le site de « Peu Richard » au sud de Saintes où on constate que si les traces d' une occupation massive au néolithique abondent, on n'en trouve aucune concernant l'âge du bronze.

Pour conclure, à ce stade et bien que leur corrélation avec une activité métallurgique datable ne soit pas formellement établie, force est de constater que ces étranges galets usés existent, qu'on les trouve en quantité et qu'ils n'attendent peut-être qu'une étude plus poussée, avec des moyens conséquents pour révéler leur secret.

*Poignards et pointe de lance en bronze de Barsac (Gironde) - Bulletin de la Société préhistorique française. Comptes rendus des séances mensuelles, tome 70, n°8, 1973. pp. 240-243

 

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